43 bpm

De battre mon cœur s'est presque arrêté

Sébastien Huette

6/8/20234 min read

Un rendez-vous à l'Hôpital

En avril j'avais pris rendez-vous à l'hôpital public de Montpellier. Le jour J était enfin arrivé.

Parti un peu ric-rac de l'appartement qui m'est sous-sous loué par un ami j'arrive 10 minutes avant mon rendez-vous sur le parking de l'hôpital. J'ai l'impression d'assister à la première journée des soldes ou à l'ouverture d'un magasin Shein sur la place des Champs-Élysées. Une file de voitures patientent, le moteur ronronnant - chuchotant pour les pédantes électriques -.

Créneau 1 pour éviter de rentrer dans une voiture. Créneau 2 pour me faufiler dans un virage du parking étroit. J'en ressors sans avoir pu parquer ma boîte à Co2. 3 rues plus loin, victoire !

Je courre à vive allure à travers l'enceinte de l'hôpital, une femme me demande où se trouve la... Je lui réponds "Désolé, chuis pas du coin!" et trace ma route. Je suis les petits chemins de bitumes... puis coupe à travers pelouse. Allez hop ! J'arrive essoufflé au bureau des admissions, me rends compte qu'un ticket est à prendre. L'automate ingurgite ma carte vitale, déglutit un ticket : H101.
Je trottine à vive allure, monte les escaliers, demande le service cardiologie... Ça y est, j'y suis !
Oui parce qu'en fait j'ai un rendez-vous à 10 heures pour passer une consultation en cardiologie.

Recontextualisation :
Avril 2023. Chez Mr le Docteur / Avignon.

Je fais un électrocardiogramme. Le docteur me dit à la vue des résultats :
- " Vous êtes sportif, non?"
- "Oui un peu, je fais des tractions, du vélo, de la course à pied et..."
- "On vous a déjà dit que vous aviez un cœur lent?"
- "Lent?... Beuh... Je suis autour de 60 bpm je crois"
- "Là c'est 43."
- "Ah! Oui, c'est étonnant, j'ai pas le souvenir d'avoir été si bas"
Le médecin me prends la tension... 2 fois.
- "Là je trouve 47... Bon au cas où vaut mieux que vous alliez voir un cardiologue"


Et voilà comment je me retrouve 2 mois après dans une salle d'attente du service cardiologie de l'hôpital de Montpellier. J'ai 20 minutes de retard. L'infirmière m'englue les poils du torse d'un gel bleuté, appose des électrodes et me fait un électrocardiogramme avant de partir en lançant un "Le docteur va pas tarder"... Oui, je me doute bien qu'elle va pas me dire : "Le médecin arrive mais là c'est sa pause dèj', ensuite il voit 3-4 patient qui ont eu un arrêt cardiaque et il revient vous voir. Vous êtes bien disponible jusqu'à demain 13h ?"

La feuille des résultats est posée sur le bureau du docteur, illisible car disposée à l'inverse de mon sens de lecture. Je penche la tête tout en tendant l'oreille pour ne pas me faire suprendre. Je lis " 71 bpm" avec les petites courbes sinuzoidales qui vont et viennent de bas en haut.

One-man show hospitalier

Après 15 minutes, il arrive. Je le sens tendu. Où plutôt comme si il voulait imposer sa stature, l'air confiant, assuré, presque hautain (ça c'est mon ressentis de toute façon alors...) un peu comme si il voulait me faire sentir que c'est lui qui mène le rendez-vous. Il me pose quelques questions tout en fixant du regard le moniteur de son ordinateur. Je lui avoue que ces derniers temps je suis assez fatigué, je ne dors pas beaucoup du fait des allergies au pollens qu'il y a en ce moment.

Sans doute avait-il l'esprit à consulter mes résultats et qu'il n'a pas écouté ce que je lui disais, il lance :
- "Vous avez un rythme cardiaque lent... Bon, on s'en fout. Allez, déshabillez-vous... Le haut seulement."

Je reste hébété... Comment peut-on dire en plein entretien à l'hopital "On s'en fout".
Je lui lance : "Oui on s'en fout... Après c'est vous le docteur donc si vous jugez qu'on doit s'en foutre..."
- "Non mais ce que je veux dire c'est qu'à votre âge ce n'est pas grâve. Je ne disais pas cela pour vous"
_"Oui mais dire "On s'en fout" je vous trouve un peu (là je lui mime une grimace avec une gestuelle qui traduit la légèreté de ses paroles)... - Je m'allonge sur le lit -... Je suis pas votre pote ou votre ami, vous êtes docteur, parlez correctement".
Là je me dis que je suis peut-être allé trop loin.

Un peu gêné... Il se ressaisit et me confirme qu'il ne se fout pas de moi sinon il ne ferait pas l'échographie du coeur qu'il s'apprête à faire.
Je vois mon coeur à l'écran sans être surpris de ce moment unique.

Je vois mon coeur!

Non, là je pense juste à cette putain de situation. Si ça se trouve il me fait payer mon retard! Non pas d'interprétations hâtives. Respiration.
Je lui dis "J'ai un souffle au coeur je ne sais pas si on le voit"

Il me répond :
- "Oui effectivement, mais ce n'est pas grâve..."
Il me regarde, amusé, sans doute dans le souhait d'être complice avec moi : "J'allais dire, on s'en fout!"

Quand le karma
s'en mêle...

Je sors de l'hôpital.
En traversant un passage piéton, je marche dans une flaque de peinture blanche et m'en mets sur la chaussure gauche et le bas de pantalon. Karma !
Je continue, amusé-blasé plus qu'énervé. De multiples traces de semelles blanches jonchent le sol et partent dans toutes les directions...
Elles n'y étaient pas tout à l'heure. Je me demande où mènent elles et à qui appartiennent les chaussures qui doivent êtres peinturlurées de blanc.
La situation me fait penser à l'humour du cinéma muet.

43 bpm. Là je devais être à bien plus.